Coup de gueule de Pierre Kosciusko-Morizet, le PDG de PriceMinister, contre le téléchargement illégal et la loi qui prétend l'interdire
>> La loi Hadopi sur le téléchargement agite l'assemblée depuis des semaines… Vous suivez ?
0ui je suis le débat, tout en étant convaincu que, malheureusement, cette loi passera, car elle est très soutenue politiquement. C'est dommage car ce poids politique mis dans la balance crée un clivage fort entre les « pour » et les « contre », alors que le sujet va bien au-delà : il ne s'agit pas d'être pour ou contre la protection des artistes, car je pense que nous sommes tous pour, mais justement le problème est là : cette loi ne fonctionnera pas car elle est mal pensée.
>> Pourquoi êtes-vous contre ?
Mon intérêt business, pour PriceMinister qui vend des CD, est de lutter contre le téléchargement illégal. Le problème est que cette loi n'est pas efficace. Pour tourner la loi, il suffit de faire du « streaming », d'écouter en direct sans télécharger, ou de télécharger sur un site étranger.
>> Comment expliquer qu'on fasse une loi inefficace ?
L'industrie du disque était acculée et elle n'a trouvé que cette réponse qui montre qu'elle ne connaît pas l'Internet. Au fond, cette loi est de mauvaise foi : beaucoup de gens dans la musique savent que la loi est inefficace, mais ils savent aussi que le modèle des maisons de disques un peu grasses employant beaucoup de monde, est un modèle qui va mourir. Mais ils préfèrent continuer de toucher leur salaire avant que le modèle ne meure complètement.
>> C'est dur…
Je le pense vraiment… Je crois qu'un business doit s'adapter à l'usage et l'envie des gens. Quand je vois mes clients évoluer vers une pratique nouvelle, je ne me demande pas comment les en empêcher mais comment je vais m'adapter.
>> Et vous, vous ne téléchargez jamais ?
Non. J'achète beaucoup de CD, j'aime l'objet. En plus, je fais de la musique, et je trouve ça pas bien de télécharger illégalement - c'est du vol.
>> Vous parlez de la loi avec votre sœur, secrétaire d'Etat à l'Economie numérique ?
Non ! Elle ne s'est d'ailleurs pas saisie du sujet et elle a raison.
>> La crise change-t-elle les comportements des consommateurs ?
Elle accélère des changements déjà en cours. Les consommateurs se professionnalisent. Ils ont envie de ne pas acheter comme tout le monde, d'être plus dans l'usage que dans la possession. On recherche le « bon plan », plutôt que l'objet cher, comme dans les années 1980.
>> Et la Rolex ?
Moi, ça m'exaspère… C'est pas bien que des politiques s'affichent avec des Rolex ou en Dior, ça crée un clivage avec la grande majorité des Français, qui sont plutôt dans l'esprit de vanter leur tee-shirt acheté 5 euros. Et cela devrait encore se développer. Sur MinisterPrice, un acheteur sur quatre était également vendeur il y a un an, maintenant c'est un sur trois. Cela, c'est l'impact de la crise. Et on revend plus pour maintenir son pouvoir d'achat, ses loisirs, que pour payer la facture d'électricité.
>> Prise de pouvoir du consommateur… C'est de la démocratie participative ?
Oui, un peu. Il y a une envie générale de se prendre en main, de participer davantage. Et l'Internet favorise cette évolution : on est passé de « few to many » (« peu à beaucoup », en anglais, ndlr), c'est-à-dire de quelques grandes chaînes de télévision qui parlent à tout le monde, ou quelques grandes chaînes d'hypers qui vendent à tout le monde, au « many to many » (« beaucoup à beaucoup », ndlr), où tout le monde peut parler et vendre et acheter à tout le monde. Cela change évidemment la politique, la société… et ça ne fait que commencer.
>> Restez-vous optimiste dans la crise ?
L'année 2009 sera très mauvaise. Les entreprises vont mal, on n'est qu'au début des licenciements. Les rigidités dans le droit du travail français nous protègent à court terme, mais à long terme, elles vont provoquer beaucoup de morts d'entreprises. Mais on peut se retrouver début 2010 avec un début d'amélioration, déterminant dans une crise très psychologique. Dans ce sens, je suis optimiste. Mais je suis étonné d'entendre des gens dire que le monde ne sera plus comme avant… Désolé, mais l'Homme ne tire jamais aucune conclusion de rien. Les traders seront toujours surpayés, les grands patrons gavés de stock-options… Il faut être naïf ou de mauvaise foi pour prétendre le contraire.
>> Votre salaire ?
90 000 euros net par an. Je n'ai pas de stock-options mais je suis actionnaire. J'ai 32 ans, j'estime très bien gagner ma vie et je n'ai pas besoin de plus.
>> Vous êtes sur Facebook ?
Non, et je n'y serai jamais, parce que c'est ma vie privée. Des gens protestent contre la collecte de données, et en même temps mettent sur Facebook leurs photos de vacances, les noms de leur copine, de leurs amis… C'est incohérent.
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